
Le mont Saint-Clair domine Sète et ses environs. Son sommet offre une vue imprenable aux touristes. Garnie de pins, la montagne est aussi le refuge de la bourgeoisie sétoise. « Les gens d’en haut », dit-on en bas. Dans tous les sens du terme, l’accès y est difficile.
Qu’il est dur ce chemin pour gravir le mont Saint-Clair. Par la trentaine de degrés d’un après-midi sétois, il faut s’accrocher. Pas un coin d’ombre. Le soleil brûle les épaules, la montagne se fait rempart au vent. Il faut regarder droit devant. Fixer ces centaines de marches qui filent vers le sommet. On est seul quand on arpente ce flanc de colline. Les rares couples s’y aventurant progressent doucement, sans un mot. C’est un pèlerinage.
En quittant le centre ville pour se rendre « au Saint-Clair », on laisse derrière soi le bruit. Et la vie. Même la rue Paul-Valéry et sa cité scolaire se fait discrète. Des amoureux profitent d’un coin ombragé, formé par les murs séculaires. Dans la cité de Georges Brassens, ils se bécotent sur les marches du lycée public. Mais sans un mot. C’est encore le calme absolu. Sur un mur, un graffiti rappelle un semblant d’adolescence rebelle. « Glander à tue-tête » est-il inscrit en lettre manuscrite.
Plus loin, plus haut, un jardin garni de pins, de boules de lavandes et autre plantes méditerranéennes fait le refuge d’une école maternelle. Silence. Les marmots doivent être à la sieste. Un panneau indique la direction pour les piétons : « Mont Saint-Clair ». On le suit. La pente se fait plus raide. Et les voitures circulent à grand peine. Sur le bas côté, un portail donne accès à l’auberge de jeunesse de Sète. Surplombant le centre-ville, elle pourrait se vanter d’avoir chambres avec vue sur mer. On s’étonne, encore, de ne pas voir plus d’animation dans ce quartier décidément tourné vers les jeunes. Dans le jardin, personne. À l’accueil non plus… Peut-être est-ce aussi l’heure de la sieste.
Il faut donc bien se résigner à quitter la ville sans autre forme d’adieu. Le chemin de Biscan Pas déploie ses premières marches. Impossible de les compter. Sur les flancs de la colline, de vastes villas à la situation dominante laissent présager la qualité bourgeoise de leurs occupants. Les plus belles bâtisses sont bien cachées. Mais se laissent deviner. Comme une allégorie de l’inaccessible. Les marches s’enchaînent. Un lézard se prélasse sous le soleil ardent. La végétation s’épaissit à mesure que l’on tend vers le sommet. Elle se fraye un chemin, s’engouffre dans les interstices d’un mur en pierre.
Fraîcheur des sommets
Des petits sentiers attenants donnent accès à quelques maisons. Elles n’offrent pas le moindre signe de vie. Et invitent à retrouver la solitude officielle du chemin principal. L’air est sec. « Ah ! c’est plus facile dans ce sens ! », s’amuse un couple qui descend. Sans aucun doutes…
Un virage. C’est peut-être le dernier. Il débouche sur une énième série de marches. Mais déjà l’air se fait un peu plus doux. L’atmosphère est traversée de brises apaisantes qui calment le feu du soleil. En voilà du baume au coeur pour le pèlerin !
Les villas se ressemblent. Le choix architectural a été de faire des cubes. Rien de typique ou de traditionnel. Les piscines, vides, invitent le marcheur à venir tremper ses pieds suppliciés. Mais elles sont, toujours, entourées de remparts.

Soudain, sur la gauche, tout droit sorti des rochers et des arbres secs se dresse la croix du mont Saint-Clair. Elle est là, blanche, fière. Et nous sommes à ses pieds. Nul besoin d’être croyant pour comprendre qu’elle vient nous délivrer du mal. On avale les dernières marches pour se hisser au sommet. Enfin.
Là haut, il y fait bien plus frais. Les brises se font bourrasques. Et l’on peut y croiser quelques touristes venus en voiture… Ils admirent une vue exceptionnelle, au pied de la croix. On voit loin. On domine tout Sète et sa région. A gauche, l’étang de Thau et les parcs à huîtres, dans un alignement parfait. En face, c’est un florilège de toits ocres, ceux de la ville, traversée par les canaux. A droite, le port de commerce. Quelques navires sont à quais. D’ici, les grues et autres machines s’activent calmement.
« Regarde, nous on est logés à droite du troisième pont sur le gros canal ! » indique, satisfait, un quinquagénaire en short à sa femme. Tous s’amusent à se repérer depuis le promontoire. Et c’est à qui fera la plus belle trouvaille. Au loin, les Cévennes… « C’est beau », peut-on entendre. Oui, c’est beau. Et ça a le goût de la récompense pour qui vient à pied.
Il paraît que l’on peut monter encore plus haut. La communauté de soeurs qui vit là

laisse accès libre au toit terrasse du presbytère. L’escalier pour y monter rappelle de douloureux souvenirs aux mollets. Mais de là, de tous côtés, on peut se perdre dans l’horizon. On peut percevoir des formes indistinctes. Presque comme un mirage… Les
Pyrénées, peut-être. Une table d’orientation vient lever le doute. « C’est une chance de pouvoir les voir, cela veut dire qu’il fait très beau », commente un Sétois venu faire le guide à ses amis de passage. « Je le fais à chaque fois, c’est un incontournable, explique-t-il d’un fort accent, je ne m’en lasse jamais! » Dans le groupe, l’enthousiasme est partagé.
Prier pour les pêcheurs
Tapie au côté du presbytère, la chapelle Notre-Dame de la Salette étonne par sa taille. Elle est minuscule. Ses murs intérieurs sont recouverts de fresques modernes et peu communes dans les églises. Elles mêlent, à travers de grands personnages faits de lignes courbes, une ode à la mer, aux pêcheurs et aux saints qui les protègent. L’atmosphère y est humide.

Décidément tournée vers la grande bleue, la chapelle abrite d’innombrables ex-voto par lesquels les familles des aventuriers des mers remercient la sainte mère de veiller sur eux. Sous cette voûte recouverte de messages, face à la vierge Marie, une dame prie. Immobile. Imperturbable malgré le bruit des pièces lâchées par les visiteurs dans le tronc de fer. Près d’une centaine de cierges brûlent dans la chapelle. Il aura même fallu installer un système de ventilation pour garantir l’accès des flammes à l’oxygène.
Dehors, un cycliste luisant de sueur martyrise ses cuisses pour accéder au dernier col du mont Saint-Clair. Contournant le presbytère, le chemin des Pierres blanches conduit à la forêt domaniale du même nom. Il descend par le versant nord et forme l’une des voies d’accès principale aux nombreuses maisons qui maillent ce flanc de colline.
Chacun son ghetto
Il y a des murs, partout. Mais toujours pas d’ombre. De multiples sentiers bifurquent ça et là pour conduire aux propriétés. « Plus c’est haut, plus c’est cher », commentait un agent immobilier au niveau des canaux. Pour autant, l’architecture n’est pas, là non plus, au sommet de son art. Nombre d’ouvrages sont en fait des extensions de « baraquettes », ces petits abris dans lesquels les Sétois allaient autrefois chercher la douceur de la montagne quand l’été battait son plein. On retrouve par endroits ces maisonnettes faites d’un mur haut, d’un mur bas, et d’un toit à simple pan reliant les deux. A leurs côtés se dressent des maisons modernes devant lesquelles on gare des voitures allemandes. Seules ces véhicules qui font vrombir leur moteur dans la montagne donnent signe de vie. Sinon, c’est le calme absolu. Et les rares riverains se font méfiants.
Sur le chemin qui mène à la forêt, on arbore fièrement son identité. Des drapeaux français flottent au vent. Ils sont même parfois hissés sur un mât, derrière un mur d’enceinte mais visibles par tous. La colline se fait forteresse imprenable. Ils rappellent inévitablement les bons scores du Front national dans la commune. Au pied de la colline, on peut apercevoir les grands ensembles des quartiers populaires. A chacun son ghetto. Ici, c’est celui du ghotta. Rebelle, un voisin a revisité l’oriflamme national. Sur le rouge, la croix occitane. Sur le bleu, les étoiles du drapeau européen… Le pied de nez est hissé haut.
Les gens d’en haut
Arrivé dans la forêt domaniale des pierres blanches, on peut y croiser Suzanne, dans un ensemble blanc aux liserés bleus. Immaculé. Sa tenue ne fait pas mystère de son statut social. Tous les jours, elle arpente les sentiers pour y promener son dalmatien qui marche fier comme Artaban. « C’est facile pour moi, j’habite à deux pas », commente-t-elle, pointant une des plus hautes bâtisses de son index. « On est bien ici, poursuit-elle, on est entre nous. Je veux dire par là que l’on est à l’écart de la ville et de tous ses désagrément, on se connaît tous et on a le même mode de vie. C’est plus calme .» Fait-elle partie de ceux qui ont donné leur voix au FN ? « Quand même pas… mais j’en connais ici, ça ne me dérange pas plus que ça ». Elle reprend sa route. Un groupe de touristes termine son pique nique sur une table en bois prévue à cet effet. On rit, on se taquine. Un peu de vie, enfin. Sur une autre table, deux Sètes se font face. « Vive la France chrétienne, vive Sète », est-il marqué d’un feutre noir.. A quelques centimètres, Mohamed et Héloïse annoncent à tous leur amour pour la vie. Chaud, froid, à l’ombre d’un arbre.
Pins de tous types, peupliers, oliviers… La végétation est dense, la sève offre une fragrance fraîche comme le vent qui la porte. Le caillou craque sous la semelle pour offrir le seul bruit réellement perceptible.
Dans la forêt des pierres blanches, on peut également croiser Marie-Jo. Elle aussi promène régulièrement son chien sur la terre blanche et sèche des sentiers. Mais elle n’est « pas du Saint-Clair ». Elle, habite au Château vert, un quartier fait de grandes barres d’immeubles au pied de la colline. « Jamais je ne pourrai habiter là, s’amuse la femme de pêcheur, d’abord parce que j’en aurai jamais les moyens. Et puis je crois que je n’aime pas trop les gens d’ici… Je vous rassure, eux non plus n’aiment pas trop les gens d’en bas ! » Les gens d’en bas ? « Oui, à Sète, il y a clairement les gens d’en haut et les gens d’en bas, c’est comme ça » commente Marie-Jo, un brin dépitée. Dans la Venise du Languedoc, la domination a sa montagne.
GRÉGOIRE MÉROT